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Racontars

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24octobre 2018
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Lui

Il avance masqué, l’homme qui efface sa vie. C’est un sauveur, les mains ouvertes sur les illusions.

La fille n’est pas méfiante, aime la chanson et les paroles, n’entends pas le son de crécelle

entre les dents serrées,  ne voit pas l’iris rétréci des yeux de l’ homme qui récite une fable.

Il l’a vue sourire lui qui ne fait que ricaner. Il l’a vue rire et a voulu s’en emparer, effacer sa joie de vivre, ses élans, comme il a effacé le récit de sa vie.

C’est un air de goguette qui lui va à ravir, c’est un leurre pour appâter sa proie, l’assujettir pour mieux la regarder souffrir.

Mais la fille continue de sourire et de rire, à la vie, au matin qui porte l’espérance  d’une joyeuse ronde, à la nuit, aux amis.

L’homme épuise ses ruses, ses feintes, le rituel devient manie, la fille s’ennuie.

L’histoire est écrite, les dialogues imposés, le refrain se fait rengaine , la ritournelle s’épuise,

la manigance et le soupçon s’installent et la fille continue de danser .

L’homme change de partition, crée du drame, des départs, des retours, des menaces voilées d’abandon, des sarcasmes. La fille danse toujours enfermée dans ses chimères.

Son aveuglement est à la hauteur des efforts de l’homme pour la séduire. Elle porte crânement le voile qui retient l’imposture, ne sent pas encore le noeud qui l’étreint, commence à retenir sa respiration, ses élans, en croyant devenir sage comme il lui a appris.

Tuer la vie en elle, se faire poupée de chiffon, reculer d’un pas, dans son sillage, faire l’éloge de la duperie .

Mais la fille n’est pas obéissante, ne l’a jamais été.

Déjà petite revenait les genoux en feu, les joues écarlates du bonheur de rire aux éclats, levait les yeux sans vouloir les baisser, a construit sa vie sur cette volonté opiniâtre que personne ne lui vole.

L’homme n’est pas à la hauteur de sa révolte et sa mystification tombe en lambeaux face à la détermination de la fille à être heureuse, ou malheureuse, comme elle l’entend.

Il devra chercher une autre proie, cet homme là, le coeur sec sur ses déconvenues et effacera la fille de sa vie.

Elle saute à pieds joints sur les pierres de son chemin et fera son retour au monde, sourire narquois.

24octobre 2018
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Elle marche à grands pas , une capuche de plastique sur la tête, un cabas à carreaux qu’elle porte depuis toujours, calé sous le bras, la vieille. Une gabardine terne, couleur mastic, sans forme, sans âge comme elle. Même le nom est moche. Gabardine, cabas, talons plats, raplapla. Tout semble la tirer vers le sol, même ses bas beiges, couleur chair flétrie, qui ne gênent plus que des tendons musculeux en guise de mollets. Le corps entier est une silhouette vague, une ombre qui se perd dans le gris de ce jour de pluie.

On la devine maigre, épaules osseuses recroquevillées. On pourrait lui compter les os à cette vieille qui insiste à être de ce monde. Faut bien se nourrir, marcher un peu, bouger sa carcasse, rester dans la ronde, la ronde des vivants, de ceux qui regardent l’avenir droit dans les yeux. L’avenir était de plus en plus incertain mais elle se levait chaque matin, coûte que coûte. Que faire d’autre ? c’était pas son genre de demander. Ca non, elle l’avait jamais fait! Avait toujours tout fait toute seule, tête droite. Allait pas changer maintenant et jouer sa pleureuse. Quémander. Non mais ! Et sinon, serait morte de faim. C’est qu’elle aimait encore tremper son pain. La trempouille qu’elle disait, dans du lait, de la soupe ou mieux dans du vin, du rouge. Ca la réchauffait, lui faisait oublier les douleurs, les pleurs enfouis. Elle se sentait toute chose après, une douce langueur l’envahissait, opiniâtre, réchauffait celle qui avait toujours froid et la faisait enfin céder, s’assoupir, se couler dans le sommeil, menton têtu contre poitrine, bouche molle, tordue.

Cet abandon, il fallait le mériter, se lever, prendre le cabas et sortir dehors.

On lui avait parlé d’une aide à domicile. elle y avait droit, aurait rien coûté. Mais elle voulait pas la vieille. Aurait pas voulu quelqu’un chez elle. Une étrangère, une touche-à-tout, pis, une voleuse qui fouille dans ses affaires, retourne ses souvenirs comme le laboureur retourne sa terre, le coeur froid.

Et puis il y avait la maison de retraite. Elle recevait des réclames, les jetait, sans un regard. Elle voulait pas savoir, elle avait pas de quoi et tant mieux. Elle aimait pas les vieux, les fuyait, se voyait trop dans leurs yeux éteints, préférait rester chez elle à fuir les miroirs.

Le jour venu… Regarde son chat, est tout miteux, ne pèse presque plus rien, comme elle, la peau et les os. Il n’y a que les bêtes qui se couchent pour crever, ont un sens pour ca, eux, n’encombrent plus les routes, se retiennent de respirer. Les yeux déjà clos. Mais pas la vieille. Elle tend ses maigres forces, vérifie ses clefs, deux fois. Ses clefs, son cauchemar. Les perdre. Être du mauvais côté de la porte. Enroule ses doigts tel des serres autour des anses du cabas. Dans la rue, sous la pluie, tête baissée, elle résiste au vent qui la pousse sans ménagement. La vieille est devenue transparente aux yeux de tous, depuis bien longtemps, comme si elle ne faisait déjà plus tout à fait partie du paysage, invisible . D’ailleurs tout a pris pour elle une couleur un peu bistre, délavée, lointaine. Plus de pleurs, rires et cris remisés, pas même d’’ennui. Un désintérêt plutôt.

Elle se demande si c’est elle ou le monde qui a changé. Les deux sans doute. Elle n’a plus sa place. Tout est étrange, différent. Perdue même dans sa rue.

14juillet 2018
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Migrants

Ils affluent de partout, ces hommes, jeunes pour la plupart, un peu perdus. Masse informe de corps fatigués, vêtements devenus trop grands, froissés, ombres dont les regards se perdent vers le passé. Ce qu’ils ont dû quitter. Pays de naissance, une mère, des soeurs, une amoureuse au regard doux, un village écrasé d’ennui, des amis. Souvenirs, peur, honte d’avoir échoué, espoirs déçus qui se vautrent dans la crasse, la boue de ces non-territoires,

entassés dans une tente, dans l’attente interminable, pour manger, dormir, entrer dans une file, en sortir, y revenir, sans trop savoir ce qui les attend.

Migrants

Horde sans visage, apeurée, papiers serrés à la main qui n’ont pas cours ici, mots qui se bousculent sans réponse, remonter la file, changer de bureau. L’interprète enfin, celui qui connaît la langue, le dialecte, s’épuise à la tâche, se défend de ne servir à rien, tente un sourire, lui qui n’a pas connu le pays, la guerre, la misère, les violences subies, même celles imaginées, les pires.  Interrogés, harcelés de questions. Prouver sa parenté, son ethnie, son métier, alors que les mains sont vides et la mémoire engoncée dans l’effort de survie. Trouver la force d’assurer qu’on est plus à plaindre que le voisin. Et y croire.

Migrants

Des femmes aussi sont là, des enfants, dans ces camps de fortune, entassés. Les petits font corps avec les mères et elles, font corps avec la toile des tentes, habituées à n’être que silhouettes vagues hors des fenêtres voilées des maisons. Parfois seules, sans mari garant de leur intégrité, à peser mots et regards, serrer les tissus contre les corps décharnés, ne rien dévoiler de la chair, surtout. Tenter l’inconcevable, la fuite. Survivre, se frayer un chemin, nourrir et consoler, chercher des alliances, faire la queue, défendre sa place pour se nourrir, de l’eau. Préserver son hygiène et son intimité contre les appétits des hommes esseulés.

Migrants

Et nous qui sommes là, témoins impuissants de ces exodes, entre honte et peur. Qui ne sommes pas dans une culture du partage, portes fermées, yeux baissés, chacun chez soi. Nous avons oublié que nous avions été italiens, arabes, gitans.  En butte à notre passé colonial, nous proclamons la pureté du sang, de la race, Nous renions les tribulations de nos ancêtres qui ont trouvé refuge sur cette terre. Un étranger ? pas de ça chez nous, on reste entre nous, on ne se mélange pas. Mais qui sommes-nous, nous dont les chemins et les histoires se sont croisés?

Car lorsque l’on vient d’un peu partout, au bout du compte, on vient de nulle part.

 

14juillet 2018
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J’ai décliné de me mettre près de l’homme, préférant l’isolement de la place arrière. Il a l’air ravi de rester seul avec son livre et ses pensées, ce garçon sérieux, appliqué, studieux même. Un bel homme, jeune, brun, barbu.

Installée derrière lui, j’oublie mon voisin. Régulièrement pourtant il s’étire, s’étend. Je l’imagine à chaque secousse du siège avant, grand corps captif, musclé, sportif.

Mais bientôt, sous l’injonction d’un passager dans son bon droit, prêt à en découdre, me secouant  son billet sous le nez comme un testeur de parfum, yeux courroucés devant mon outrecuidance, je ramasse mes affaires à la hâte, lui écrase le pied, ne me confonds pas en excuse, ce qui aggrave mon cas, et sac et livre s’échappent. Mon écharpe me retient. C’est dans cette débandade que je rejoins enfin mon siège.

A peine assise, tord le cou vers lui. Vous allez à Toulouse? Je vais déranger. Comme si ce n’était pas déjà fait ! Je me tortille et  lui propose de changer de place, de rejoindre celle du fond, près de la vitre. Puisque moi, je descends avant vous, je dérangerai moins, vous serez plus tranquille. Je me lève et ramasse mes affaires. L’air de douter que je sois capable de lui garantir le calme il s’exécute pourtant, poli.  Le jeune homme a à peine un regard pour moi. Nous aurions pu en rester là, chacun le nez dans son livre. Curieux cette expression. Le mien est trop petit, celui de l’homme est fin, assez grand. L’idée m’amuse que son nez puisse se retrouver coincé entre les pages, écrasé, entraînant quelques poils de barbe, bouche étirée en rictus. Je me retiens de rire.  

Il avait raison, ma promesse de calme était feinte. Je me lève, fais une plaisanterie, et contre toute attente elle fait mouche, il sourit, regard doux, franc. Et patati, et patata … Il se tourne vers moi et me parle avec passion de son livre, d’une conférence,  de ses espoirs, de sa vie de sportif, du triathlon, de son désir d’écrire un roman,faire connaître sa passion.

En peu de temps j’apprends beaucoup.  Me parle de sa mère avec qui il ne s’entend pas, avec qui il recommence à tisser des liens, de ses grands parents aimés de qui il se sent si proche. En peu de temps l’homme du train, devenu mon voisin, m’est presque familier. Dommage, j’aurai dû m’asseoir près de lui dès le début.

 

14juillet 2018
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Il est là, à l’abri des regards, tout au bout de cette allée d’arbres, ce cimetière  accroché à un roc, comme suspendu face au vide le regard du passant embrasse la vallée, y rince sa tristesse. Pas question de venir ici par hasard, il faut la mériter, la visite. Au bout du village, derrière un mur clos, isolé du tumulte, esseulé, fermé du monde des vivants par une lourde grille, sont tenus là, les éternels endormis, invités à ne pas venir déranger les vivants,  à rester à distance pour ne pas troubler les affaires du monde.

Sont entre eux et pas bavards, certains encore un peu dans la vie, à grouiller de vers, à se faire lécher la mandibule avec délectation, à viser la putréfaction chaque os rivalise de blancheur poreuse. C’est que l’on se décompose moins vite depuis quelques temps. En cause  les pollutions, les conservateurs, tueurs silencieux de diptères, sarcophagiens et autres escouades affairés sur le tas. Au lieu de quelques mois consacrés à la tâche de désintégration, certains corps affichent une jeunesse insolente, un refus arrogant de disparaître. Une longévité à en faire pâlir les anciens tas d’os. Dernière coquetterie de ces impérissables dont la fureur de vivre et paraître toujours à son avantage perdurent jusque dans l’au-delà.

 

19juin 2018
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Elle est là la fille, au bar, suspendue sur ses talons, agrippée au rebord par ses doigts boudinés, blancs, dont les bagues serties jettent des éclats bleutés, clins d’oeil aux glaçons qui gisent au fond des verres dépolis, givrés dans leurs habits de fête.

Au dessus de sa tête est posé un chignon haut et c’est un miracle que ce plat de cheveux rebelles ne se déverse et se mêle au sucre des coupes. Solidement arrimé, le chignon, au contraire, se dresse, suit son propre rythme entre gloussements et soupirs.

Tout à coup, dans le brouhaha, un son aigu surgit né entre les seins de la fille qui se fraie un chemin. Un éclat de rire strident, hoquette, s’élance, se jette  contre le rempart des dents, se répand sur la langue et dans un élan victorieux éclate sur les lèvres roses comme un fruit mûr que l’on presse, et s’échappe.

La fille n’est pas à un éclat près, connait la chanson et son effet sur son auditoire. Son rire de gorge vire à l’exhalaison cristalline, finit en secousse stridente. L’apothéose est une suite de petits remous criards qui signent la délivrance. Le chignon n’a pas regimbé. Les mains se sont jetées en l’air en quête d’évasion tandis qu’un énorme soupir se glisse dans le giron du corsage dont les seins compriment le tissu.

La fille a retrouvé son équilibre. L’avait-elle perdu? la comédie de la séduction en guise d’exutoire a ravi la fille à elle-même et son auditoire a bien ri.

19juin 2018
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Alors, c’est vrai ?

Ben, oui.

C’est sûr?

Depuis hier.

Et tu l’a vu?

Faut pas exagérer!

Grâce? Il a demandé grâce ?

Histoire de dire… plus ou moins

Il parait que c’est arrivé vite

J’ai un doute, quand même

Kérosène? C’est ça ?

Les grands mots, tout de suite !

Mais si! je l’ai entendu dire

Ne croit pas tout ce qui se dit

On peut y croire ou pas?

Pourquoi pas, si c’est vrai.

Qui l’a dit ?

Reste à savoir

Si on le dit.

Tout a été dit de A à Z . Et puis c’est tout.

Une chose  pareille? Vraiment ? ?                                                                  

Vraiment. Dans un bus. Une rame, je crois

Wagon, on l’a dit , dans un train …

Xénophobe, il l’était sûrement

Yeux bleus, casquette vissée sur la tête

Zélé, il était. Ça on peut le dire !

11juin 2018
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La plus âgée regarde la petite. Elle est déjà grande, ronde, brune, entourée de longs cheveux rebelles. Une frange.

Elles se regardent .

Il y a des photos, de toutes les époques, des vidéos, des rushes avec de toutes petites images les unes à côté des autres.  Le film de la vie.

“ Je ne te reconnais pas “ dit-elle à la petite.

La petite soulève sa frange.

“ Moi non plus…. Je n’avais pas de frange! “

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