Nuages effilés
Dans la moiteur du matin
C’est brume au lever
&
Elle est née la fleur
L’étoile de Barbarie
Jaune canari
&
Il a démâté
Le navire de nos rêves
Il s‘est ensablé
&
Il pleut des cordes
La limace reprend espoir
Et moi je m’ennuie
&
A tu et à toi
Fini les chinoiseries
Tu n’es pas un roi
&
Zeus brise la nuit
Enflamme le voile du ciel
Pas de parapluie !
&
La ronce a frémi
Pourtant elle donnait des fruits
Ça n’a pas suffit
&
Savoir s’amuser
C’est le travail d’une vie
Alors allons-y
&
Je n’ai plus que toi
A regarder dans la nuit
je préfère pioncer
&
Est tombé du nid
Dans ses yeux limpides
Je suis un bourreau
&
Je passe
Sa main traîne
Malappris
&
Senteur du soir
S’élance et se fige en jet
L’eau
&
Il m’a bavé sur la joue
L’escargot ?
Ce baiser là
&
Le mulot couché
N’a ni crié ni gémit
Au service du chat
&
Il a le bras long
Il a de l’influence ?
Du culot
&
A pleuré, a ri
Sous le saule l’a enlacée
Est reparti
&
Elle est parfaite
Ses longs cheveux bruns serpentent
Sur sa face inhumaine
&
Il l’aime, elle s’ennuie
Reve les yeux clos, mine boudeuse
Il l’attend en vin
&
Mange son pain blanc
Emiette ses jours, pleure ses nuits
le rat bouffi
&
Il connaît les femmes
Les arquepince entre ses doigts épais
étreint le vide
&
Les poissons rêvent la mer
Le canard sa mare, le cerf sa couche feuillue
Le monde est petit
&
Il avance masqué, l’homme qui efface sa vie. C’est un sauveur, les mains ouvertes sur les illusions.
La fille n’est pas méfiante, aime la chanson et les paroles, n’entends pas le son de crécelle
entre les dents serrées, ne voit pas l’iris rétréci des yeux de l’ homme qui récite une fable.
Il l’a vue sourire lui qui ne fait que ricaner. Il l’a vue rire et a voulu s’en emparer, effacer sa joie de vivre, ses élans, comme il a effacé le récit de sa vie.
C’est un air de goguette qui lui va à ravir, c’est un leurre pour appâter sa proie, l’assujettir pour mieux la regarder souffrir.
Mais la fille continue de sourire et de rire, à la vie, au matin qui porte l’espérance d’une joyeuse ronde, à la nuit, aux amis.
L’homme épuise ses ruses, ses feintes, le rituel devient manie, la fille s’ennuie.
L’histoire est écrite, les dialogues imposés, le refrain se fait rengaine , la ritournelle s’épuise,
la manigance et le soupçon s’installent et la fille continue de danser .
L’homme change de partition, crée du drame, des départs, des retours, des menaces voilées d’abandon, des sarcasmes. La fille danse toujours enfermée dans ses chimères.
Son aveuglement est à la hauteur des efforts de l’homme pour la séduire. Elle porte crânement le voile qui retient l’imposture, ne sent pas encore le noeud qui l’étreint, commence à retenir sa respiration, ses élans, en croyant devenir sage comme il lui a appris.
Tuer la vie en elle, se faire poupée de chiffon, reculer d’un pas, dans son sillage, faire l’éloge de la duperie .
Mais la fille n’est pas obéissante, ne l’a jamais été.
Déjà petite revenait les genoux en feu, les joues écarlates du bonheur de rire aux éclats, levait les yeux sans vouloir les baisser, a construit sa vie sur cette volonté opiniâtre que personne ne lui vole.
L’homme n’est pas à la hauteur de sa révolte et sa mystification tombe en lambeaux face à la détermination de la fille à être heureuse, ou malheureuse, comme elle l’entend.
Il devra chercher une autre proie, cet homme là, le coeur sec sur ses déconvenues et effacera la fille de sa vie.
Elle saute à pieds joints sur les pierres de son chemin et fera son retour au monde, sourire narquois.
Elle marche à grands pas , une capuche de plastique sur la tête, un cabas à carreaux qu’elle porte depuis toujours, calé sous le bras, la vieille. Une gabardine terne, couleur mastic, sans forme, sans âge comme elle. Même le nom est moche. Gabardine, cabas, talons plats, raplapla. Tout semble la tirer vers le sol, même ses bas beiges, couleur chair flétrie, qui ne gênent plus que des tendons musculeux en guise de mollets. Le corps entier est une silhouette vague, une ombre qui se perd dans le gris de ce jour de pluie.
On la devine maigre, épaules osseuses recroquevillées. On pourrait lui compter les os à cette vieille qui insiste à être de ce monde. Faut bien se nourrir, marcher un peu, bouger sa carcasse, rester dans la ronde, la ronde des vivants, de ceux qui regardent l’avenir droit dans les yeux. L’avenir était de plus en plus incertain mais elle se levait chaque matin, coûte que coûte. Que faire d’autre ? c’était pas son genre de demander. Ca non, elle l’avait jamais fait! Avait toujours tout fait toute seule, tête droite. Allait pas changer maintenant et jouer sa pleureuse. Quémander. Non mais ! Et sinon, serait morte de faim. C’est qu’elle aimait encore tremper son pain. La trempouille qu’elle disait, dans du lait, de la soupe ou mieux dans du vin, du rouge. Ca la réchauffait, lui faisait oublier les douleurs, les pleurs enfouis. Elle se sentait toute chose après, une douce langueur l’envahissait, opiniâtre, réchauffait celle qui avait toujours froid et la faisait enfin céder, s’assoupir, se couler dans le sommeil, menton têtu contre poitrine, bouche molle, tordue.
Cet abandon, il fallait le mériter, se lever, prendre le cabas et sortir dehors.
On lui avait parlé d’une aide à domicile. elle y avait droit, aurait rien coûté. Mais elle voulait pas la vieille. Aurait pas voulu quelqu’un chez elle. Une étrangère, une touche-à-tout, pis, une voleuse qui fouille dans ses affaires, retourne ses souvenirs comme le laboureur retourne sa terre, le coeur froid.
Et puis il y avait la maison de retraite. Elle recevait des réclames, les jetait, sans un regard. Elle voulait pas savoir, elle avait pas de quoi et tant mieux. Elle aimait pas les vieux, les fuyait, se voyait trop dans leurs yeux éteints, préférait rester chez elle à fuir les miroirs.
Le jour venu… Regarde son chat, est tout miteux, ne pèse presque plus rien, comme elle, la peau et les os. Il n’y a que les bêtes qui se couchent pour crever, ont un sens pour ca, eux, n’encombrent plus les routes, se retiennent de respirer. Les yeux déjà clos. Mais pas la vieille. Elle tend ses maigres forces, vérifie ses clefs, deux fois. Ses clefs, son cauchemar. Les perdre. Être du mauvais côté de la porte. Enroule ses doigts tel des serres autour des anses du cabas. Dans la rue, sous la pluie, tête baissée, elle résiste au vent qui la pousse sans ménagement. La vieille est devenue transparente aux yeux de tous, depuis bien longtemps, comme si elle ne faisait déjà plus tout à fait partie du paysage, invisible . D’ailleurs tout a pris pour elle une couleur un peu bistre, délavée, lointaine. Plus de pleurs, rires et cris remisés, pas même d’’ennui. Un désintérêt plutôt.
Elle se demande si c’est elle ou le monde qui a changé. Les deux sans doute. Elle n’a plus sa place. Tout est étrange, différent. Perdue même dans sa rue.
La piscine est promesse, à portée de regard . L’eau chaude , attirante, d’un bleu transparent presque blanc. L’’écume refoulée par les buses fait des volutes, jet puissant, bouche étroite qui expulse frénétiquement ses eaux.
Mais l’orage menace. Tout à coup le ciel s’obscurcit, devient menaçant, anéantissant les rêves de détente.
Quelques gouttes se jettent en piqué sur la surface lisse de l’eau, la trouble dans l’effort de la transpercer, d’y pénétrer.
La surface de l’eau résiste mais se voile, vire au vert puis au brun . Devient sale, lourde et grise, remous de terre et écume grasse.
Un peu plus loin, un tas de débris terreux mêlés de morceaux de métal noirs encombrés de branchages glabres nuisent à la beauté du jardin.
Le ciel plombé aux nuances de soufre rejoint les dalles qui semblent se dérober, expulser les débris de mousse et de terre qui s’accrochent.
Le lieu qui semblait enchanteur il y a peu se fait décharge à présent sous l’effet de la lumière et de la pluie. Ce qui était en train de pourrir, se décomposer à l’abri des regards dans le compost s’expose à présent, se déverse et semble se traîner au sol en s’effilochant.
Le jardin exposé à l’effort besogneux ne veut plus de cet ordre dicté. Il mène sa vie propre et s’enorgueillit des pétales déchirées qui jonchent les dalles, des feuilles éparses qui tachent la surface de l’eau, des pattes d’insectes et petis escargots minuscules et blanchâtres qui se cachent dans les interstices des pierres.
La dormeuse se sent démunie tout à coup, ses pieds nus redoutent de se poser.
Des mots affluent, décousus .. purin … putrain … Une forme sombre se débat au fond de la piscine.
Et si il y avait quelque chose dedans?
C’est un rêve où la mère est là et la petite plus si petite, déjà mère.
Mais le rêve se moque du temps et la mère et la fille sont réunies dans une chambre un soir d’été. La fenêtre est ouverte à la nuit donnant sur la courette déserte. Pas un bruit.
La petite rêve. La chambre, la mère, la nuit.
Soudain le rideau bat, s’agite, ressemble à un oiseau de voile, cherche à prendre son envol puis s’enroule sur lui même et s’enflamme avant de se jeter par la fenêtre béante.
Elles sont là, à observer le vide.
Le rideau se tord et se consume. La mère rassure la petite qui semble ne pas comprendre, se tourne vers la mère et là, l’absence lui vrille le coeur. La petite est seule. La mère partie depuis longtemps. Reviens au coeur des songes, souvenirs d’odeurs, d’images.
Prend soin de son enfant, de loin, et pour toujours
Eau charrie le laurier défleuri
Le chat rit de ce charivari
Lui, ses coussinets sont à l’abri
&
Elle est là la pluie
La cendre du ciel pesait
A présent je ris
&
Le drap est plissé
Contre mon corps endormi
Je quitte le lit
&
Il est là dans l’ombre d’un recoin du salon mimant une silhouette sur son pied de bois.
On pourrait le prendre pour un épouvantail, mais lorsqu’il est vêtu d’une robe de voile, enveloppé de mousseline ou de dentelle et que les mains de la mère s’affairent, le mannequin de couturière se métamorphose sous les yeux de la petite encore endormie.
Dans la lumière tamisée, la petite lampe de cuivre penche vers lui sa corolle de verre, partage ses reflets mordorés et lui donne vie, semble l’inviter au mouvement, à la danse.
La petite en est sûre, il va s’échapper, s’enfuir, loin de ces petites banderilles que la mère plante dans la toile dodue, loin du ruban centimètre qui étreint sa taille ou de la craie qui lui cisaille le cou.
Le mannequin est docile pourtant, impavide.
C’est la mère qui danse à présent , volète autour de lui dans un mouvement incessant d’épingles de la bouche à la toile, de la toile à la main, sous la menace des ciseaux qui brillent d’un éclat féroce dans la nuit.
Lui ne recule pas, accepte son sort, et bientôt paré de crêpe georgette, prend ses lettres de noblesse, singe l’élégance parisienne dans le petit appartement devenu écrin sous les yeux écarquillés de l’enfant . La fillette a envie d’applaudir devant le spectacle mais la mère la croit encore endormie; alors, se contente d’ouvrir encore plus grand les yeux et dans la demi inconscience et de l’enfance et du sommeil, se rêve déjà grande, portant la robe, devenue corps de toile sur grandes quilles et genoux cagneux. Presque une reine.
Mais le rêve est de courte durée, les doigts de la mère défont dans la même frénésie ce qui a été construit avec grâce. Les aiguilles sont arrachées, plantées dans le pique-aiguille bleuté, dont le tissu par endroit décousu découvre le rembourrage pelucheux.
Le tissu glisse sur la toile, recouvre le trépied de bois, le mannequin est exposé, nu.
Robe emportée, glissée dans un papier de soie.
Le rêve de la petite se brise.
Migrants
Ils affluent de partout, ces hommes, jeunes pour la plupart, un peu perdus. Masse informe de corps fatigués, vêtements devenus trop grands, froissés, ombres dont les regards se perdent vers le passé. Ce qu’ils ont dû quitter. Pays de naissance, une mère, des soeurs, une amoureuse au regard doux, un village écrasé d’ennui, des amis. Souvenirs, peur, honte d’avoir échoué, espoirs déçus qui se vautrent dans la crasse, la boue de ces non-territoires,
entassés dans une tente, dans l’attente interminable, pour manger, dormir, entrer dans une file, en sortir, y revenir, sans trop savoir ce qui les attend.
Migrants
Horde sans visage, apeurée, papiers serrés à la main qui n’ont pas cours ici, mots qui se bousculent sans réponse, remonter la file, changer de bureau. L’interprète enfin, celui qui connaît la langue, le dialecte, s’épuise à la tâche, se défend de ne servir à rien, tente un sourire, lui qui n’a pas connu le pays, la guerre, la misère, les violences subies, même celles imaginées, les pires. Interrogés, harcelés de questions. Prouver sa parenté, son ethnie, son métier, alors que les mains sont vides et la mémoire engoncée dans l’effort de survie. Trouver la force d’assurer qu’on est plus à plaindre que le voisin. Et y croire.
Migrants
Des femmes aussi sont là, des enfants, dans ces camps de fortune, entassés. Les petits font corps avec les mères et elles, font corps avec la toile des tentes, habituées à n’être que silhouettes vagues hors des fenêtres voilées des maisons. Parfois seules, sans mari garant de leur intégrité, à peser mots et regards, serrer les tissus contre les corps décharnés, ne rien dévoiler de la chair, surtout. Tenter l’inconcevable, la fuite. Survivre, se frayer un chemin, nourrir et consoler, chercher des alliances, faire la queue, défendre sa place pour se nourrir, de l’eau. Préserver son hygiène et son intimité contre les appétits des hommes esseulés.
Migrants
Et nous qui sommes là, témoins impuissants de ces exodes, entre honte et peur. Qui ne sommes pas dans une culture du partage, portes fermées, yeux baissés, chacun chez soi. Nous avons oublié que nous avions été italiens, arabes, gitans. En butte à notre passé colonial, nous proclamons la pureté du sang, de la race, Nous renions les tribulations de nos ancêtres qui ont trouvé refuge sur cette terre. Un étranger ? pas de ça chez nous, on reste entre nous, on ne se mélange pas. Mais qui sommes-nous, nous dont les chemins et les histoires se sont croisés?
Car lorsque l’on vient d’un peu partout, au bout du compte, on vient de nulle part.
J’ai décliné de me mettre près de l’homme, préférant l’isolement de la place arrière. Il a l’air ravi de rester seul avec son livre et ses pensées, ce garçon sérieux, appliqué, studieux même. Un bel homme, jeune, brun, barbu.
Installée derrière lui, j’oublie mon voisin. Régulièrement pourtant il s’étire, s’étend. Je l’imagine à chaque secousse du siège avant, grand corps captif, musclé, sportif.
Mais bientôt, sous l’injonction d’un passager dans son bon droit, prêt à en découdre, me secouant son billet sous le nez comme un testeur de parfum, yeux courroucés devant mon outrecuidance, je ramasse mes affaires à la hâte, lui écrase le pied, ne me confonds pas en excuse, ce qui aggrave mon cas, et sac et livre s’échappent. Mon écharpe me retient. C’est dans cette débandade que je rejoins enfin mon siège.
A peine assise, tord le cou vers lui. Vous allez à Toulouse? Je vais déranger. Comme si ce n’était pas déjà fait ! Je me tortille et lui propose de changer de place, de rejoindre celle du fond, près de la vitre. Puisque moi, je descends avant vous, je dérangerai moins, vous serez plus tranquille. Je me lève et ramasse mes affaires. L’air de douter que je sois capable de lui garantir le calme il s’exécute pourtant, poli. Le jeune homme a à peine un regard pour moi. Nous aurions pu en rester là, chacun le nez dans son livre. Curieux cette expression. Le mien est trop petit, celui de l’homme est fin, assez grand. L’idée m’amuse que son nez puisse se retrouver coincé entre les pages, écrasé, entraînant quelques poils de barbe, bouche étirée en rictus. Je me retiens de rire.
Il avait raison, ma promesse de calme était feinte. Je me lève, fais une plaisanterie, et contre toute attente elle fait mouche, il sourit, regard doux, franc. Et patati, et patata … Il se tourne vers moi et me parle avec passion de son livre, d’une conférence, de ses espoirs, de sa vie de sportif, du triathlon, de son désir d’écrire un roman,faire connaître sa passion.
En peu de temps j’apprends beaucoup. Me parle de sa mère avec qui il ne s’entend pas, avec qui il recommence à tisser des liens, de ses grands parents aimés de qui il se sent si proche. En peu de temps l’homme du train, devenu mon voisin, m’est presque familier. Dommage, j’aurai dû m’asseoir près de lui dès le début.
Il est là, à l’abri des regards, tout au bout de cette allée d’arbres, ce cimetière accroché à un roc, comme suspendu face au vide où le regard du passant embrasse la vallée, y rince sa tristesse. Pas question de venir ici par hasard, il faut la mériter, la visite. Au bout du village, derrière un mur clos, isolé du tumulte, esseulé, fermé du monde des vivants par une lourde grille, sont tenus là, les éternels endormis, invités à ne pas venir déranger les vivants, à rester à distance pour ne pas troubler les affaires du monde.
Sont entre eux et pas bavards, certains encore un peu dans la vie, à grouiller de vers, à se faire lécher la mandibule avec délectation, à viser la putréfaction où chaque os rivalise de blancheur poreuse. C’est que l’on se décompose moins vite depuis quelques temps. En cause les pollutions, les conservateurs, tueurs silencieux de diptères, sarcophagiens et autres escouades affairés sur le tas. Au lieu de quelques mois consacrés à la tâche de désintégration, certains corps affichent une jeunesse insolente, un refus arrogant de disparaître. Une longévité à en faire pâlir les anciens tas d’os. Dernière coquetterie de ces impérissables dont la fureur de vivre et paraître toujours à son avantage perdurent jusque dans l’au-delà.