Le premier jardin, inaugural, c’est celui de l’émoi de la nature pour la fille de la ville. Une maison en meulière, cachée derrière la végétation, c’est la photo qui le dit, un peu jaunie.
La petite a un short et des nattes, un sourire convenu comme toujours du temps de son enfance, le regard en dessous qui en dit long sur les bêtises à venir.
C’est une amie de la mère la femme qui habite la maison, une maison de banlieue avec des airs de province, avant les échangeurs, les barres d’immeuble, les quartiers.
La petite a dix ans dans ces années soixante où les jupes raccourcissent, où le vieux monde se cabre, renâcle, joue les prolongations. Témoin des conversations de femmes seules, un échec à l’époque, un stigmate, presque une honte, elle s’ennuie surement et contient son corps à l’immobilité. La mère a un enfant, est divorcée, pas fille mère, c’est déjà ça, et acquis de haute lutte, mais pas plus. L’enfant a un nom, qui a valeur de non, d’erreur, de mensonge, de non dit.
La femme de la maison n’a ni mari, ni enfant. Vieille fille, alors qu’elle n’est pas une vieille ni plus une fille aux yeux de la petite. C’est l’époque qui veut ca, l’héritage du passé.
La petite s’en moque, elle fait bonne figure et se tait. C’est une visite de la mère, la petite l’accompagne. Elle est toujours avec elle, de concert, un monôme, la môme. N’imagine rien d’autre qu’être avec la mère, comme un bout de la mère.
Petits gâteaux rassis en rang dans la boîte en fer, jus de fruit pour la petite, café pour les parleuses. La petite regarde par la fenêtre, happée par la glycine.
Autorisée enfin à sortir, laisser les femmes parler entre elles, secrets, regrets, espoirs, elle ne demande pas son reste.
Et le jardin l’accueille, la prend à bras le corps. Un fouillis de branches, d’arbustes folâtres, de fleurs odorantes. Jardin touffu qui ignore la coupe, où chaque espèce prospère, se fraie un chemin au sein d’autres essences. Volubilis, onagres et rosiers s’entrelacent, cerisier lourd de ses fruits, poiriers entravé de liserons.
La petite avance jambes nues, brave les orties, se laisse gifler par les branches basses, découvre la force de la nature dans ce petit jardin qui lui ouvre un monde, empli d’oiseaux et d’odeurs.
Le temps s’arrête. Fourmis captent son attention, papillons l’enchantent, gendarmes en colonne, écorce d’arbres et lierre. Lieu enchanteur qui offre sa fraîcheur en ce jour d’été chaud et lourd, lumière tamisée où les rayons percent, adoucis et retenus. Le temps est suspendu et lorsque l’appel de la mère se fait entendre, la petite feint de ne pas comprendre, voulant retenir le moment présent, repousser le départ mais la voix s’impatiente impossible à ignorer. La petite réapparaît, joues rouges, mollets griffés, doigts terreux. La mère hésite entre rire et convenance puis tourne les talons. Il faut rentrer. Un train à prendre. A ne pas rater. Au revoir . A une autre fois. Quelle belle après-midi. Si la mère savait !
Dernier regard au jardin qui semble n’avoir pris vie que pour elle. Le retour, le coeur lourd, des effluves plein les doigts.
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