La maison est là, solide et massive, en partie ombrée. La rêveuse la voit de la route, dressée en bout d’allée, les volets de bois défraîchis traversés de veines, d’éclats, certains penchés, retenus par un gond rouillé.
On devine une porte à présent, engoncée dans une glycine qui d’ornement n’a plus que le nom, devenue prison. Le jardin endormi, envahi par les ronces et le lierre, semble revenu au temps d’avant l’outil de l’homme, de ses rêves de conquête du sol, d’ordre et d’organisation. Les troncs jaillissent par touffes, s’entravent sans contraintes, se couchent et jonchent le sol, abris pour champignons, repaires pour petits rongeurs, couches pour animaux sauvages.
Le portail de métal , altier , savamment travaillé, brodé de roses et de feuilles tressées, en interdisait l’entrée autrefois caché sous d’innocentes circonvolutions, dans une volonté féroce d’interdire l’entrée à quiconque n’y est pas invité. A présent le métal s’est effacé sous les affronts du temps et les multiples passages des curieux.
La rêveuse se faufile, emprunte l’allée, traverse le jardin à petits pas prudents, évite les branches basses, enjambe branchages secs et tas de feuilles, trébuche à chaque pas sur des pierres qui semblent se jeter sous ses pieds pour la faire chuter et atteint enfin la maison abandonnée, rétive à se montrer.
Cette maison de meulière est une maison de maître. Maison de pierres grêlée de trous, restes de séismes volcaniques. La rêveuse a vu de ces pierres en Auvergne, en a rempli sa valise pour en rapporter ses secrets. Sa main en reconnaît les volumes, les gemmes brillantes au fond des aspérités. Une pierre roule sous ses doigts, se détache du mur et tombe sur la terre humide cachée par les fraisiers sauvages qui ont envahi le soubassement. La rêveuse y plonge la main. Des gouttes fraîches perlent, les petits fruits d’un rouge intense s’offrent à la caresse. Les doigts s’attardent, s’enfoncent entre mur et terre… cela s’effrite. Les doigts fouillent le bas du mur, se faufilent. Les pierres ont fait place à une sorte de magma de sable, les fondations de la maison sont dévorées par le vide.
L’effondrement est imminent. La rêveuse s’écarte du mur, regarde une dernière fois la maison avant de s’en détourner. Plus un regard. Le rêve la quitte.
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